Je me souviens plus jeune avoir visité avec ma mère le village de Conques. C’est une des étapes les plus connues sur la route du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’abbatiale de Conques est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO et c’est ici que Pierre Soulages a accepté de faire une centaine de vitraux.
J’aimais déjà fortement le travail de cet artiste, qui m’accompagne dans mon éveil artistique depuis plus de 15 ans déjà. Et ce jour-là, j’avais une petite appréhension à découvrir ce projet. Je me demandais aussi comment un tel projet pourrait être accepté du grand public. Une proposition pleine d’audace d’habiller de lumière un joyau de l’art roman ainsi que de faire se rencontrer des courbes contemporaines et une architecture religieuse.
Je me rappelle des murmures des autres visiteurs ce jour-là. Je craignais presque d’entendre les réactions, de surprendre des conversations, car je me disais que les gens pouvaient avoir du mal à comprendre cette proposition artistique et je ne souhaitais pas être confrontée à des personnes qui n’aimeraient pas ou ne comprendraient pas. Et là, je fus stupéfaite d’entendre les réactions positives des personnes présentes. Je tendais l’oreille, pour intercepter les réactions des un.e.s et des autres. J’étais à vrai dire fascinée de voir comment un artiste pouvait susciter de la curiosité, mais également donner du sens en cassant les codes et en sortant les gens de leur zone de confort.

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« La réalité d’une œuvre, c’est le triple rapport qui existe entre un homme qui l’a produite, la chose sur laquelle les sens viennent se faire et se défaire, et celui qui la regarde. Évidemment, quand une chose vous touche, elle mobilise en vous des sensations qui vous appartiennent et qui ne sont qu’à vous. Voilà pourquoi je dis que les sens viennent se faire et se défaire. Ce qui explique aussi qu’à certaines époques, on ait oublié de voir des choses qui existaient, comme à d’autres, des individus ont les yeux fermés sur des choses qui existent… » – Pierre Soulages

La découverte du musée de Rodez. C’était une expérience inoubliable pour moi et j’espère avoir la chance d’y retourner un jour. La découverte d’une centaine d’œuvres de Pierre Soulages et en même temps la rencontre avec l’architecture des espagnols RCR Arquitectes qui ont conçu le musée. L’approche architecturale du bâtiment est aussi riche que celle de l’artiste qui y expose. Cet enchaînement de volumes parallélépipédiques en lien avec l’extérieur permet dès le départ de comprendre que la pratique de cet espace va être riche.
En étant tout à fait honnête avec vous, j’ai été submergée par l’émotion en rentrant dans les lieux. Les espaces du musée étaient taillés sur mesure pour sublimer les œuvres de Pierre Soulages, un vrai écrin, qui permet de saisir le travail de cet artiste. La recherche de la lumière à travers différents jeux de textures et de matières. La réflexion de lumière, les traces de peinture sur la toile. Le noir. Pour créer l’outrenoir.
Tenter de vous décrire mon expérience révèle de l’impossible, elle doit se vivre pour être pleinement comprise. La photographie de ses réalisations ne permet pas de comprendre puisqu’elle ne fait pas état des différentes dimensions du tableau. Avant de créer le concept d’outrenoir, il parlait aussi de « noir lumière« . Tout est dit. Il s’agit là de comprendre qu’il n’est pas question d’une couleur, ici le noir, mais de saisir comment ses propositions remettent en question votre perception de l’espace, du beau, du vide et du plein, des jeux de la lumière sur des surfaces qui vibrent différemment selon leur aspect. Je suis fascinée qu’en utilisant un seul pigment, il réussisse à nous faire voyager dans des paysages de lumière toujours changeants selon les différents états de surface.
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Apprendre sa mort, c’est comme apprendre la mort d’une partie de soi, du monde. Il y avait en quelque sorte l’histoire de l’humanité (en référence au noir originel des peintures préhistoriques) qui pouvait se ressentir dans l’expression de sa quête artistique. La perte d’un fragment de soi. La perte. Je me suis promis de me réfugier dans ses écrits quand j’aurais besoin de me reconnecter à cette essence et à cette quête de sens. Je me suis dit aussi qu’il n’est pas trop tard pour continuer d’apprendre sur lui, de lui, sur son amour de la peinture, du noir, du monde, de la vie. Il n’est pas trop tard.
La perte.
Le vide.
Quand on perd un être cher, on le perd juste dans le voile d’une réalité. Mais il peut continuer à exister (qu’il ou elle soit mort.e ou non d’ailleurs) pour nous accompagner sur notre chemin et nous guider. Laissons la place à ces personnes qui traversent nos vies, de continuer d’exister en nous, car toutes les rencontres d’une vie sont importantes, même les plus fugaces. Elles nous enseignent toujours quelque chose sur nous et sur les autres.

Merci d’avoir lu.
Annelise ♥
C’est touchant, c’est poignant même, ce récit qui reflète bien ce que représente pour toi en tant qu’artiste mais aussi humaine, cet artiste. La perte d’un être cher est toujours un déchirement parce que les corps ont ce besoin de se réunir dans la matière mais les esprits savent communiquer autrement et tu l’as tellement bien décrit. Merci pour ce voyage qui me donne envie de découvrir ce lieu et cet artiste pour ses œuvres de la lumière dans l’ombre qui ont l’air grandioses. ♥️
Merci pour ton commentaire. Si ça suscite l’envie de découvrir son travail, j’en suis ravie !